Henri Gastaut (1915-1995)
Henri Jean Pascal Gastaut (1915-1995)
Fils de Jean Baptiste Claude
Gastaut, musicien âgé de 30 ans, et de Marie Louise Théodarine Franceau, 23
ans, Henri Jean Pascal Gastaut est né au 4 rue Louis, La Condamine, le six
avril 1915. S’il est considéré comme
médiocre à l’école, manquant de discipline, ni ses enseignants d’alors, qui le
voient hésiter entre les finances, la peinture et la politique, ni ses
professeurs de licence de sciences naturelles ne s’imaginent ce jeune turbulent
être reçu premier au concours de l’externat en 1939, de l’internat de 1943, être
diplômé de l’Université de Marseille et devenir l’un des grands noms de la
neurologie française. A 20 ans, encore externe, il épouse Yvette Reynaud, fille
de banquiers marseillais, et emménage avec elle sur la corniche à Marseille,
puis boulevard Périer.
C’est sous la tutelle du
Professeur Henri Roger que Gastaut s’épanouit dans la neurologie pendant son
internat, en même temps que naît son intérêt pour l’anatomo-pathologie grâce à
Lucien Cornil, doyen de la Faculté de Marseille. Après la libération, en 1946,
Gastaut prend Yvette sous son bras et l’emmène à Bristol, où il apprend les
rudiments de l’électroencéphalographie auprès de W. Grey Walter. Un nouveau
séjour de trois mois en 1949, cette fois à Montréal avec Wilder Penfields et
Herber Jasper, lui permet de se perfectionner en EEG, de détailler la
symptomatologie des crises du lobe temporal, et surtout de créer son propre
laboratoire de neurophysiologie à La Timone en 1953, où il installe son quatre
plumes Grass, acheté avec ses propres économies. C’est l’époque où, jeune
fringuant et moustachu, il parcoure la ville sur sa petite moto rouge, allant
de La Timone (où il pratique la neurologie et l’électroencéphalographie) à la
Faculté de Médecine alors éloignée de l’hôpital, où il est nommé Professeur
d’anatomo-pathologie. Avec l’aide de ses nombreux et éminents élèves, dont
feront partie entre autres Joseph Roger, Charlotte Dravet et Robert Vigouroux,
Gastaut mène d’innombrables études dans son laboratoire, et lui fait acquérir
une notoriété internationale. Très vite, des étudiants des quatre coins de la
planète viennent se former dans ce qu’ils nomment « l’école de
Marseille ». C’est là même que sont décrits pour la première fois
des basiques de l’EEG, tels le rythme mu, les ondes lambda, les ondes pi, le
rythme thêta postérieur et les pointes rolandiques. On s’intéresse également à
l’activation de l’EEG par la stimulation lumineuse intermittente avec ou sans
injection de pentylenetetrazole, aux variations des rythmes corticaux selon les
différents états de conscience altérée de manière « naturelle» (sous
méditation, ecstasy, techniques mystiques) ou de manière « artificielle »
(par biofeedback, drogues psychoactives). On décrit les patterns EEG observés
lors des syncopes et des pathologies du sommeil, les manifestations
électro-cliniques des crises toniques, atoniques, absences typiques ou
atypiques, crises réflexes…Enfin, les syndromes Hémiconvulsion-Hémiplégie-Epilepsie,
des épilepsies partielles bénignes avec pointes-ondes occipitales et de
Lennox-Gastaut sont individualisés, et une description moderne du syndrome de
West est effectuée, toujours sous l’égide d’Henri Gastaut. Alors que les
benzodiazépines émergent dans les années 1960, Gastaut reconnait très vite leurs
propriétés antiépileptiques, et se fait l’avocat de leur utilisation dans l’état
de mal épileptique, mais aussi dans l’épilepsie chronique. La chair de
Neurophysiologie clinique est créée pour lui en 1973, qu’il tiendra jusqu’en
1984, année de sa retraite.
Toujours sous l’impulsion de
Gastaut, dans sa volonté d’améliorer la qualité de vie et la prise en charge
des enfants épileptiques, le centre Saint Paul est créé à Marseille en 1960 avec
l’aide de la ministre de la santé, Mme Germain Poinso-Chapuis. Dirigeant le centre
pendant une dizaine d’année, Gastaut le confie ensuite à Joseph Roger,
Charlotte Dravet et Michelle Bureau. Le centre Saint Paul prendra son nom après
sa mort, en 1998.
Alors qu’une barbe vient
compléter la moustache, et qu’une vedette bleue remplace la moto rouge, Gastaut
continue ses aller-retours entre La Timone et la Faculté, où il a été nommé Doyen
en 1967. Les évènements de 1968 confirment son excellente capacité d’analyse,
qui lui permet de faire revenir le calme dans la Faculté de médecine. Il est
d’ailleurs élu Président de la nouvelle Université Aix-Marseille en 1971, après
avoir participé à sa création.
Soucieux d’intégrer ses
découvertes dans une compréhension plus globale du fonctionnement cérébral et
de l’épilepsie, Gastaut fonde le Colloque de Marseille en 1950, qui se tiendra quasiment
chaque septembre jusqu’en 1980. Tous les ans, Gastaut élit un thème en lien le
plus souvent avec l’épilepsie (14 Colloques sur 25), toujours original et qui
deviendra à la mode l’année suivante, et le prépare ardemment, soit de 5h à 7h
du matin à La Timone avec ses collaborateurs, soit dans sa résidence secondaire
des Lesques ou sur son bateau. L’organisation plus matérielle du Colloque,
touchant à la réservation de salles de congrès mais également aux réservation d’hôtels
et de guinguettes pour égayer les soirées des experts internationaux conviés,
est confiée à ses élèves. Décrit comme franc, n’hésitant pas à contredire son
interlocuteur, la présence de Gastaut promet des discussions animées,
tumultueuses mais toujours profitables. Le Colloque, réunissant 300 à 500
participants, est à la fois d’un grand intérêt scientifique, mais également
parfois d’un intérêt politique : c’est ainsi qu’en 1958, Gastaut
délocalise le congrès à Moscou, ce qui permettra de créer une organisation
internationale pour l’étude des mécanismes cérébraux, future International Brain Research Organization
(IBRO). Gastaut, ayant compris très tôt
le besoin critique de réaliser une classification des crises et des types d’épilepsie,
propose sa propre classification au Colloque de 1964. La version révisée sera
approuvée au 12e congrès international sur l’épilepsie à New York en
1967, adoptée par l’International League
Aigainst Epilepsy (ILAE) en 1969, et publiée en 1970 ; elle constitue,
de nos jours encore, une solide base pour la pratique clinique et la recherche
dans le domaine de l’épilepsie, à travers la nouvelle classification des
épilepsies et syndromes épileptiques de 1989. Toujours en 1964, et dans le but
d’unifier la terminologie utilisée, Gastaut commence à travailler sur un
dictionnaire de l’épilepsie, qui sera publié par l’Organisation Mondiale de la
Santé en 1973 et traduit en sept langues.
En dehors de ses activités
cliniques et de recherche, de ses organisations et participations aux congrès
internationaux, Gastaut est à la tête de la French
League Against Epilepsy, fondée en 1949 à la demande de William G. Lennox,
mais également secrétaire général de l’ILAE de 1957 à 1969 puis président de
1969 à 1973. Il réorganise le journal Epilepsia,
oublié depuis 1955, qu’il publie de nouveau à partir de 1959 et auquel il
rend son prestige, publiant ses propres papiers et incitant l’Ecole
Marseillaise à faire de même. Il devient par ailleurs président et secrétaire
de l’International Federation of EEG and
Clinical Neurophysiology et correspondant de l’Académie Française de
médecine. Il recevra les titres de Commandeur de l’Ordre National du Mérite,
Commandeur de l’Ordre des Palmes Académiques, Officier de la Légion d’Honneur
(et sera nommé Commandeur la veille de son décès), et de nombreux autres prix. En
1984, il crée l’Institut de Recherche Neurologique, sponsorisé par l’Organisation
Mondiale de la Santé où il est consultant.
Dans la vie privée, Gastaut est
une personne passionnée : par l’art, d’une part, à travers la peinture
classique et l’Opéra, mais aussi via des collections de bijoux et de rares
spécimens de crânes qu’il amasse à l’aide de sa complice de tous les jours,
Yvette. Par la littérature, d’autre part, tentant de comprendre le lien entre
Flaubert, Dostoïevski et l’épilepsie (s’intéressant à Van Gogh par la même
occasion). Il saute aisément d’une passion à l’autre, comme son intérêt pour la
voile qui meurt brutalement en mer après un orage particulièrement difficile à
surmonter.
Après sa retraite en 1984, il délaisse
la communauté médicale, à laquelle il ne rend visite que rarement, pour
contenter certains de ses pairs qu’il apprécie. Il ne lit plus de littérature
médicale, lègue sa bibliothèque à La Timone et au centre Saint Paul, et en
vient même à critiquer son propre travail scientifique, dont seule une partie
aurait eu selon lui un réel intérêt. Yvette décédée, il cède sa collection de
crânes au musée de la Vieille Charité de Marseille, et passe ses dernières
années en compagnie de son ancienne assistante, Mireille Taury.
Henri Gastaut meurt le 15 juillet
1995 dans le 8e arrondissement de Marseille, terrassé par un cancer.
Il laisse derrière lui une fille, Danielle (enseignante au lycée), et deux
fils, Jean-Louis (Professeur de neurologie) et Jean-Albert (Professeur
d’hématologie). Il laisse surtout une communauté médicale éplorée, dont les
hommages viendront fleurir des années durant la littérature internationale.
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