Le syndrome de Landau-Kleffner
Etat actuel des connaissances
Inclus dans la Classification
Internationale des Syndromes Epileptiques depuis 1985(8), le syndrome de
Landau-Kleffner, ou « aphasie épileptique acquise » est une affection
touchant des enfants de 3 à 10 ans ayant eu jusqu’alors un développement
psychomoteur et une acquisition de la parole normaux(9). La première manifestation, une « surdité
apparente aux mots », ou agnosie verbale auditive, est remarquée par les
parents devant un enfant qui ne répond plus aux ordres, même après avoir élevé
la voix(10), mais dont les audiogrammes
sont normaux. D’autres manifestations peuvent être notées, telles des
modifications comportementales ou psychomotrices, et une épilepsie, répondant
en général aux traitements antiépileptiques classiques, contrairement à
l’aphasie(11). Si l’étiologie reste mal connue,
les nombreuses études menées depuis la description princeps de ce syndrome se
sont accordées sur le fait qu’il s’agit d’une aphasie acquise secondaire à une
perturbation épileptogène d’une aire corticale impliquée dans le traitement
verbal(12). Il semblerait qu’il existe
une prédisposition génétique conduisant à une hyperexcitabilité des
interneurones GABAergiques, puis une altération de la barrière
hémato-encéphalique avec réaction immune secondaire, et inhibition du fonctionnement
des cortex associatifs responsable de l’agnosie auditive(12). L’EEG peut montrer des
pointes temporales ou temporo-pariétales bilatérales asynchrones, mais
également des ondes lentes, des décharges de pointes-ondes de mêmes projections,
nettement activées par le sommeil non paradoxal (13,14). L’aphasie épileptique acquise
serait ainsi un sous-groupe des épilepsies avec pointes-ondes continues du
sommeil (EPOCS), dans laquelle les décharges épileptiques prendraient place au sein
du cortex temporal. Plusieurs études ont montré qu’il existait un
dysfonctionnement à long terme du cortex auditif associatif, sans atteinte du
cortex auditif primaire(12,15). Le pronostic, d’autant plus pauvre que
l’âge est jeune(11,15), peut aller de la guérison à
l’aphasie sévère permanente, en passant par une persistance de troubles
langagiers modérés(16). Le traitement associe des corticoïdes à des
traitements antiépileptiques (benzodiazépines notamment).
Description princeps
C’est dans un papier
intitulé « Syndrome of acquired aphasia with convulsive disorder in
children », publié en 1957 dans Neurology
(23), que Frank Kleffner et William Landau firent, pour la première fois,
la description de ce syndrome atypique. Tandis que, dans les années 1950, les
troubles développementaux de l’enfant étaient sujets à une attention croissante
de la part du milieu médical, Kleffner, qui venait de prendre la tête du Central Institute for the Deaf (CID), s’intéressa
à l’apprentissage de la parole et du langage par les enfants nés sourds. Via
Landau, la Faculté de Médecine de la Washington
University de St Louis, voisine du CID, commença à étudier le statut
neurologique de ces enfants à travers la réalisation systématique d’électro-encéphalogrammes(32). Kleffner remarqua que, parmi ces enfants, certains avaient acquis le
langage à un âge attendu, mais avaient présenté plus tard des difficultés
marquées dans la compréhension et la production du langage. Tandis qu’en
apparence ces enfants donnaient l’impression d’être effectivement sourds, ils ne
présentaient en réalité aucune déficience auditive... Il demanda ainsi à Landau
de s’intéresser tout particulièrement à ces enfants, et fut surpris d’apprendre
que Landau n’avait jamais vu de cas similaire dans son service de
neuro-pédiatrie (32) !
Cinq enfants furent
évalués sur une durée de deux ans. Filles ou garçons, âgés au début de la symptomatologie
de 4 ans pour l’une, cinq ans pour deux d’entre eux, huit et neuf ans pour les
deux restants, ils avaient tous, sans exception, eu un développement
psychomoteur sans particularité, incluant l’acquisition de la parole. L’aphasie
s’installa sur une période allant de vingt-quatre heures à plusieurs mois,
caractérisée par une difficulté initiale à comprendre les ordres donnés par les
parents, avec « surdité apparente », évoluant progressivement vers un
trouble de la production langagière, d’une sévérité variable et pouvant aller
pour certains jusqu’à une absence totale de compréhension et de production du
langage. Cette aphasie était parfois accompagnée d’une difficulté articulatoire.
Sauf dans un cas (cas n°4), l’intonation de la voix n’était pas modifiée. Le
cas n°5, la patiente la plus âgée au début de la maladie, était capable, au
moment de son entrée au CID, de communiquer à travers la lecture et l’écriture
de phrases non élaborées ; elle s’exprimait ainsi lors de son premier cours :
« I cannot hear », « Talk is hard. I will never learn to talk »
(« Je ne peux pas entendre », « Parler est dur. Je ne vais
jamais apprendre à parler. »). Elle décrivit plus tard sa compréhension d’alors
comme un « blah blah blah ».
Pour l’ensemble de
ces enfants, les examens cliniques (incluant une évaluation neurologique) et
paracliniques furent strictement normaux (notamment les tests audiométriques), à
l’exception de l’EEG, sur lequel furent notées des décharges de pointes-ondes
généralisées, le plus souvent à prédominance temporale(23) (les auteurs reconnurent dans un papier de 2009 que l’accentuation
nocturne des anomalies paroxystiques n’avait alors pas été remarquée(32)). Tous ces enfants présentèrent des crises d’épilepsie, focales ou
généralisées, initiales ou au cours de l’évolution clinique. Après introduction
d’un traitement par Phénobarbital et Phénytoïne, parfois par Paraméthadione,
les crises furent rapidement contrôlées, sans qu’il ne soit noté de
modification de l’EEG. De même, il ne sembla pas exister de lien temporel entre
la survenue des crises d’épilepsie et l’installation des troubles phasiques,
ces éléments plaidant en défaveur d’une paralysie de Todd comme cause de l’aphasie.
L’absence de lésion cérébrale mise en évidence suggérait, pour les auteurs, que
les décharges paroxystiques atteignant des tissus cérébraux impliqués dans le
langage résultaient en une ablation fonctionnelle de ces aires corticales(23).
L’évolution de ces
enfants fut marquée par une amélioration de la parole spontanément ou après
rééducation au sein de classes spécialisées au CID, mettant l’accent, dès les
années 1950, sur l’importance de la rééducation orthophonique et logopédique chez
les enfants atteints de ce syndrome, que Landau lui-même qualifiera de « Syndrome
de Landau-Kleffner » en 1957(32).
Références :
8. Proposal for classification of
epilepsies and epileptic syndromes. Commission on Classification and
Terminology of the International League Against Epilepsy. Epilepsia.
1985 Jun;26(3):268–78.
9. Bishop
DV. Age of onset and outcome
in “acquired aphasia with convulsive disorder” (Landau-Kleffner syndrome). Dev
Med Child Neurol. 1985 Dec;27(6):705–12.
10. Rapin I, Mattis S, Rowan AJ, Golden GG.
Verbal auditory agnosia in children. Dev Med Child Neurol. 1977
Apr;19(2):197–207.
11. Pearl PL, Carrazana EJ, Holmes GL. The
Landau-Kleffner Syndrome. Epilepsy Curr. 2001 Nov;1(2):39–45.
12. Hirsch E, Valenti MP, Rudolf G, Seegmuller
C, Martin A de S, Maquet P, et al. Landau–Kleffner syndrome is not an eponymic
badge of ignorance. Epilepsy Res. 2006 Aug 1;70:239–47.
13. Hirsch E, Marescaux C, Maquet P, Metz-Lutz
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study of five cases. Epilepsia. 1990 Dec;31(6):756–67.
14. Deonna TW. Acquired epileptiform aphasia in
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15. Wioland N, Rudolf G, Metz-Lutz MN.
Electrophysiological evidence of persisting unilateral auditory cortex
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16. Mouridsen
SE. The Landau-Kleffner
Syndrome: a review. Eur Child Adolesc Psychiatry. 1995 Oct;4(4):223–8.
23. Landau WM, Kleffner FR. Syndrome of
acquired aphasia with convulsive disorder in children. Neurology. 1957
Aug;7(8):523–30.
32. Kleffner FR, Landau WM. The
Landau-Kleffner syndrome. Epilepsia. 2009 Aug;50 Suppl 7:3.
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