Le signe de Babinski
De la description histologique des faisceaux neuromusculaires aux travaux sur l'hystérie conjointement avec Charcot, en passant par l'invention de nombreux néologismes médicaux encore utilisés aujourd'hui, l'apport de Babinski à la neurologie est considérable, et résumé par Babinski lui-même dans "Exposé des travaux scientifiques", publié en 1913, et "Oeuvre scientifique", publié en 1934.
Joseph Babinski s'était intéressé longuement à l'étude des réflexes tendineux et osseux. De l'une de ses leçons, on retiendra ces paroles très justes: "La main, munie du marteau percuteur, interroge le système nerveux qui, par l'intermédiaire de ces réflexes, répond avec netteté aux questions posés. Précieuses sont les révélations que l'on obtient ainsi de lui: il fait part des dégâts que sa texture a subis, désigne les départements où ils se sont produits, parfois même, comme un géomètre, il en précise le siège et l'étendue, et il met en garde contre les dangers graves qui le menacent."Ainsi, en bon personnage méticuleux, Babinski s'était astreint à examiner un grand nombre de sujets sains, à étudier les caractères constants ou variables de leurs réflexes ostéo-tendineux, afin de mieux apprécier leurs aspects pathologiques. C'est grâce à Babinski que l'on examine aujourd'hui le réflexe achiléen sujet à genoux sur une chaise ou pied maintenu par l'examinateur au lit! C'est également grâce à lui que l'on sait qu'une moindre asymétrie des réflexes dénote d'un caractère pathologique.
Fort de ces expériences, Babinski s'intéressa ensuite aux réflexes cutanés. Dans les années 1890, il démontra que, chez les sujets sains (en dehors de la période qui s'étend de la naissance à la marche), la stimulation de la plante du pied provoquait soit une flexion de l'ensemble des orteils, soit une absence de réponse, mais en aucun cas une extension du gros orteil.
En cas d'atteinte du système pyramidal, on retrouvait une extension des orteils, en particulier du gros orteil (ce qu'il nommera "le phénomène du gros orteil"). Ce n'est qu'après des descriptions publiques, en 1896 à la Société de Biologie, en 1897 au Congrès de Neurologie de Bruxelles, et en 1898 en leçon, publiée par la Semaine Médicale, que les médecins français et étrangers nommèrent ce signe le Signe de Babinski.
"En général, ce n'est pas seulement par le sens du mouvement que le réflexe normal diffère du réflexe pathologique; le plus souvent l'extension est réalisée avec plus de lenteur que la flexion; de plus, la flexion est d'habitude plus forte quand on excite la partie interne de la plante du pied que lorsque l'excitation porte sur la partie externe, et c'est l'inverse qui se produit pour l'extension; enfin, tandis que la flexion prédomine généralement dans les deux ou trois derniers orteils, c'est dans le premier ou les deux premiers orteils que l'extension est généralement la plus prononcée [...] Cela dit, je vais vous faire connaître la technique qu'il faut employer pour bien observer le mouvement réflexe des orteils. Il importe que les muscles du pied et de la jambe ne soient pas en état de contraction, et pour obtenir ce résultat il est bon de ne pas prévenir le sujet de l'expérience qu'on se propose de pratiquer et de lui faire fermer les yeux. " Babinski avait en effet remarqué que chez certains sujets, plus sensibles que d'autres à la stimulation de la plante du pied, il existait une rétraction réflexe de la jambe et parfois une extension volontaire du gros orteil (i.e les patients chatouilleux). Chez ces sujets, il était nécessaire de renouveler l'expérience de manière plus superficielle (ce qui lui valut d'ailleurs quelques caricatures, cf ci-dessous).
En pathologie, Babinski avait remarqué que l'on observait ce signe du gros orteil à la fois dans les hémiplégies anciennes (à réflexes vifs), mais également dans les hémiplégies flasques, quelques temps seulement après l'"apoplexie" (où les réflexes étaient par conséquent faibles ou abolis), avec une intensité non corrélée à l'intensité de la paralysie. Il avait également décrit un cas de phénomène des orteils présent immédiatement après une crise Jacksonienne, du même côté que la crise, mais aussi de nombreux cas d'atteinte spinale où ce signe était retrouvé (mal de Pott, sclérose en plaques, myélite transverse etc), et plusieurs cas de maladie de Friedreich. C'est en reliant l'ensemble de ces pathologies qu'il s'était aperçu que ce phénomène était observé lors d'atteintes du système pyramidal. Enfin, en 1903, Babinski fit connaître son "signe de l'éventail", abduction des orteils complémentaire du signe du gros orteil, inconstante, utile à observer notamment dans les cas douteux.
Dans les suites de Babinski, des variantes du phénomène des orteils furent décrites:
- le réflexe antagoniste de Schaefer: extension des orteils et flexion du pied par pression du tendon d'Achille chez les patients atteints de syndrome pyramidal
- le signe d'Oppenheim: contraction des muscles extenseurs des orteils après stimulation cutanée de la partie antérieure de la jambe à l'aide du manche d'un marteau réflexe
Babinski, toujours atteint de sa "maladie du doute", se demanda bien entendu si ce réflexe antagoniste, similaire à son signe des orteils, n'était pas tout simplement dû à une stimulation cutanée du membre inférieur. Il s'acharna donc à étudier des malades hémiplégiques présentant le phénomène des orteils, en leur pinçant la peau dans le voisinage du tendon d'Achille mais également en d'autres parties du membre inférieur, reproduisant effectivement le réflexe de Schaefer, prouvant ainsi qu'il s'agissait en fait d'un réflexe cutané, et non antagoniste. Même constatation pour le signe d'Oppenheim, en reconnaissant toutefois que la contraction du jambier antérieur pouvait être considérée comme un phénomène nouveau.
Ce n'était pas au vieux Babinski qu'on apprendrait à faire de la neurologie!
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