Le syndrome de Guillain et Barré (et Strohl...)
Le syndrome de Guillain-Barré, ou polyradiculonévrite aiguë, est une paralysie aigüe ascendante progressive avec aréflexie ostéo-tendineuse et dissociation albumino-cytologique du LCR, d'évolution réputée "bénigne" puisque régressant en majorité spontanément, sans séquelle. Ce syndrome peut être confirmé à l'aide de l'électro-neuro-myogramme, révélant un processus de démyélinisation des fibres nerveuses.
Bien avant Guillain, Barré et Strohl, un certain Jean Baptiste Octave Landry de Thézillat avait fait la description, en 1859, dans la Gazette hebdomadaire de médecine et de chirurgie, de la "paralysie ascendante ou centripète aiguë". Il avait ainsi observé, chez un patient de 43 ans, au décours d'une infection semble-t'il pulmonaire, des paresthésies des doigts et des orteils, rapidement ascendantes, suivies d'une perte de force motrice dans les membres inférieurs, puis les membres supérieurs, avec une prédominance sur les muscles proximaux: "de tous les mouvements des membres thoraciques, ceux d'élévation du bras sont seuls bien sensiblement affaiblis". Il n'y avait pas de fièvre, pas de signe d'atteinte du système nerveux central. Après quelques jours, le patient avait commencé à présenter des difficultés respiratoires, avec l'apparition d'une respiration abdominale paradoxale, très bien décrite par Landry : "Le diaphragme participe évidemment à la paralysie, car au moment de l'inspiration, et surtout d'une inspiration profonde, l'épigastre s'excave fortement et se soulève lors de l'expiration". Malgré des traitements jugés optimums: "frictions sur les membres avec le liniment volatil térébenthiné; quinquina; électrisation. Alimentation substantielle, côtelettes, vin de Bordeaux" (on était choyés dans les hôpitaux!), le patient décéda, huit jours après le début de la paralysie. L'autopsie ne montra aucun signe d'atteinte du système nerveux central ou périphérique...
Landry fit l'observation de huit autres cas similaires durant sa courte carrière, et décéda à 39 ans sans avoir pu en tirer de conclusion anatomopathologique.
Le 22 février 1879, Jules Dejerine soutint sa thèse pour le Doctorat en Médecine, intitulée "Recherches sur les lésions du système nerveux dans la paralysie ascendante aiguë". Il commença son récit par ces mots: "C'est Landry (1859) qui le premier attira l'attention sur une forme particulière de paralysie [...]. On peut dire que c'est à cet auteur que revient entièrement le mérite de cette découverte.". Après avoir décrit les travaux remarquables de ses maîtres et prédécesseurs, Dejerine rapporta les données d'autopsies de patients atteints de paralysie ascendante aiguë: il observa les fibres nerveuses et les racines et remarqua qu'à certains endroits la myéline avait disparu; parfois, il existait une dégénérescence axonale, telle qu'elle avait pu être rapportée dans les sections de nerfs. A contrario, les muscles paraissaient parfaitement normaux. Dejerine conclu que l'altération des racines nerveuses devait être secondaire à une altération de la substance grise de la moelle épinière, inaccessible aux moyens d'investigation de l'époque.
Il fallut attendre le travail conjoint de Guillain, Barré et Strohl, lors de la première guerre mondiale, pour obtenir une description plus précise de ce syndrome. En 1916, alors médecins de l'Unité Neurologique de la VIe armée, Guillain et Barré firent l'observation de deux soldats atteints d'une paralysie ascendante aiguë. Le premier, âgé de 25 ans, s'était présenté en août pour l'évolution, depuis juillet 1916, de fourmillements des pieds et de faiblesse des membres inférieurs, suivis quelques jours plus tard de la même symptomatologie aux membres supérieurs et à la face, sans cause apparente. Les réflexes ostéo-tendineux étaient abolis, il n'y avait pas de signe d'atteinte du système nerveux central. Mêmes constatations anamnestiques et cliniques sur un soldat de 35 ans. André Strohl, titulaire d'un doctorat de médecine et de physique, futur Professeur de Physique biologique à la Faculté de Paris, engagé dans l'armée en tant que radiologue, fit la connaissance des deux compères à cette occasion. Il mit ses talents au service de l'Unité Neurologique, et démontra, à l'aide de la neurophysiologie, que bien que les réflexes ostéo-tendineux ne soient pas retrouvés cliniquement et très faibles sur l'examen neurophysiologique, il persistait jusqu'à la guérison une contraction idio-musculaire à la percussion du tendon du quadriceps (observée sur des courbes). Le fait que la partie réflexe de la courbe myographique disparaisse ou soit considérablement réduite, ainsi que l'allongement de sa latence montrait, pour Strohl, "l'altération profonde et prédominante des conducteurs nerveux ou de la partie centrale du réflexe".
Parmi les examens biologiques, on constata que le liquide céphalo-rachidien ramenait une "forte hyperalbuminose sans réaction cytologique" dans les deux cas. Ainsi, d'après Guillain, Barré et Strohl, "l'ensemble des troubles observés chez ces deux malades appartient à la pathologie simultanée des racines rachidiennes, des nerfs périphériques et des muscles. L'hyperalbuminose considérable du liquide céphalo-rachidien témoigne de la participation méningée." Fort heureusement pour eux, ces deux malades n'eurent pas la même évolution que celui de Landry, et purent quitter l'Armée, l'un spontanément guéri (à moins que les injections de strychnine par Guillain et Barré n'aient été efficaces?), l'autre en voie d'amélioration clinique.
Guillain lui-même, bien qu'ayant initialement insisté sur la notion de bénignité comme critère diagnostique, fit état de rares cas mortels par atteinte des nerfs bulbaires. Il fallut attendre le milieu du XXe siècle pour que l'évolution favorable soit retirée des critères diagnostiques, mais également pour qu'une meilleure compréhension de l'étio-pathogénie du syndrome de GBS soit acquise.
Mais alors pourquoi dit-on en langage courant "syndrome de Guillain-Barré"? Il s'avère que dans les publications ultérieures, Guillain et Barré écartèrent tout simplement ce pauvre Strohl, qui ne s'en offusqua visiblement point. Guillain publia d'ailleurs en 1953: "Considérations sur le syndrome de Guillain-Barré"...le mal était fait.
Sources:
- Landry, O. Note sur la paralysie ascendante aiguë. Gazette hebdomadaire de médecine et de chirurgie, 1859; vol. 6, pp 472-4.
- Guillain, G; Barré, J; Strohl, A. Sur un syndrome de radiculo-névrite avec hyperalbuminose du liquide céphalo-rachidien sans réaction cellulaire. Remarques sur les caractères cliniques et graphiques des réflexes tendineux.
- Syndrome de Guillain-Barré: rappel historique; Jacques Philippon. Bull. Acad. Natle Méd., 2016, 200, n°6, 1085-1089, séance du 7 juin 2016
- Dejerine, J. Recherches sur les lésions du système nerveux dans la paralysie ascendante aiguë. 22 février 1879.
- Dejerine, J. Recherches sur les lésions du système nerveux dans la paralysie ascendante aiguë. 22 février 1879.
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